Fondements théoriques
L’invention des Moulins à paroles (M@P) procède d’une réflexion théorique menée dans le cadre d’une recherche universitaire en sciences du langage, conduite sous la direction du professeur Alain Bentolila, qui m’a valu l’obtention du titre de docteur décerné par l’université Paris 5 en 2006.
Le dispositif matériel qui en est ressorti a eu pour but d’offrir un outil d’apprentissage efficace, au service à la fois des enseignants et des associations engagées dans la lutte contre l’illettrisme.
L’ouverture gratuite de son accès et la simplicité des usages qu’il permet ne doivent pas masquer l’exigence des principes théoriques sur lesquels il repose.
Je les énonce ici.
1 - En français, connaître un mot dans sa forme orale ne suffit pas pour savoir comment il s'écrit, tandis qu'à l'inverse, pour être reconnu dans sa forme écrite, le même mot doit être déjà connu dans sa forme orale (ex. BERGER). C'est la raison pour laquelle la recherche est aujourd’hui unanime à vouloir remplacer, concernant la lecture des mots, le terme de déchiffrage par celui d'identification (ou de reconnaissance). Il en découle que la meilleure méthode d’apprentissage de la lecture sera celle qui consistera à apprendre la langue tout à la fois dans ses aspects oraux (prononciation) et écrits (orthographe). Et cette condition est particulièrement impérative pour ce qui concerne l’apprentissage du français langue seconde, c’est-à-dire dans les cas où on s’adresse à des publics allophones.
2 - Le champ dans lequel une langue doit être apprise ne peut pas consister dans la seule conversation, ni procéder des seules productions écrites des élèves, mais elle doit aussi et d’abord s’appuyer sur les textes classiques. À cela deux raisons:
2.1 - Un enfant apprend dans la conversation, de même qu’il emploie dans ses productions personnelles (orales ou écrites), la langue de son milieu social, celle qui est parlée autour de lui, et seulement elle. Or, tous les enfants n’appartiennent pas aux mêmes milieux, ce qui donne à l’approche conversationnelle, ou à celle basée sur les productions des élèves, un aspect hautement discriminatoire.
2.2 - Une langue doit être apprise dans les textes parce c’est là qu’on y rencontre la plus grande diversité de ses formes et de ses usages, et parce que c’est là seulement que ses formes et ses usages trouvent leur attestation, en même temps qu’ils peuvent être observés de façon assez stable pour constituer un objet d’étude.
3 - Un enfant n’apprend jamais de façon stupide. La mémorisation et la restitution orale puis écrite d’un texte classique impliquent sa compréhension. Personne n’a jamais pu apprendre et réciter un texte écrit dans une langue qu’il ne connaît pas, et personne ne le fera jamais. Lire et écrire une langue ne peut pas se faire mieux (de façon plus agréable et plus exacte) que dans un texte qu’on a déjà entendu et restitué à l’oral. C’est selon cette méthode qu’on a procédé, de manière hautement efficace, dans toutes les civilisations du monde, avant que la modernité ait voulu nous affranchir de l’autorité des textes classiques. Les M@P utilisent les technologies numériques pour revenir à elle.
4 - La poésie n’est pas seulement la “mémoire de la langue”, selon la belle formule de Jacques Roubaud, elle aussi celle de notre culture. La poésie n’enseigne pas prioritairement les valeurs de la République mais elle célèbre dans ses thèmes majeurs l’amour et la nature. Elle nous en donne le goût.
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