Desbordes-Valmore | Les Roses de Saadi



J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.

Les nœuds ont éclaté. Les roses, envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.

Dans Poésies inédites (1869)
Ce poème est donc posthume. Pour autant, la critique estime qu’il a pu être écrit vers 1848


Lu par Isabelle Pozzi (France)

Commentaires

Clément a dit…
Un poème magnifique, donnant lieu à des possibilités d’interprétation multiples.
Il fonctionne très bien et invite particulièrement les élèves à participer.
Et voilà, un texte délicat, et pour moi l'occasion de m'intéresser à une poétesse souvent croisée, jamais vraiment rencontrée... Merci les M@P et le Club de Lecture!!
MRG a dit…
L’origine du poème peut être intéressante à connaître. Elle se trouve dans la préface du Gulistan (Le Jardin des Roses) du poète persan Saadi (13e s.) :
"Un certain sage avait enfoncé sa tête dans le collet de la contemplation et était submergé dans la mer de l intuition. Alors qu'il revint de cette extase, un de ses camarades lui dit par manière de plaisanterie: De ce jardin où tu étais quel don de générosité nous as-tu apporté? Il répondit: J'avais dans l'esprit que lorsque j'arriverais au rosier, j'emplirais (de roses) un pan de ma robe pour en faire un cadeau à mes camarades. Lorsque je fus arrivé, l'odeur des roses m'enivra tellement que le pan de ma robe m échappa de la main ."
(dans la traduction de Semelet, 1834, vraisemblablement celle utilisée par MDV)
Dvorah a dit…
Dans ma découverte, ce poème m'a tout de suite évoqué la chanson populaire "Voici le mois de mai ou les fleurs volent au vent", dont les paroles sont tout aussi énigmatiques ...
Tsutsu a dit…
Tel que je le comprends, ce poème est très différent des autres qui sont habituellement aphoristiques chez lui. Il y a des mouvements, des couleurs et une odeur dans le poème. Il est presque impressionniste et sensuel. Bien sûr, il doit y avoir un symbolisme particulier, culturelle ou personnelle ou tous deux, une signification qu’on ne connait pas bien. J’aimerais bien lire ce poème comme il l’est au niveau superficiel. Parce que ça me donne du plaisir.
À propos de la robe parfumée de roses. Elle m’a fait penser à une phrase de Sei Shonagon (966-1025) dans le chapitre Choses qui font battre le cœur de son livre Notes de Chevet :
« …
Se coucher seule dans une chambre délicieusement parfumée d’encens.
S’apercevoir que son miroir de Chine est un peu terni.
Un bel homme, arrêtant sa voiture, dit quelques mots pour annoncer sa visite.
Se laver les cheveux, faire sa toilette, et mettre des habits tout embaumés de parfum.
… »
Elle m’a fait penser aussi au poème anonyme dans Recueil de Poèmes Anciens et Modernes (905)
« En mai quand je sens des fleurs de mandarinier Tachibana
Je me rappelle les manches de la robe de ma bien aimée/mon bien-aimé »
Dans la littérature japonaise ancienne, le parfum joue un rôle très important. Le jeu de parfums Kōdō mentionné dans le Dit du Genji (1010) est encore pratiqué aujourd’hui.
siega laurent a dit…
charmant petit poème, tout en féminité, délicat et sensible.
De la mélancolie, les roses s'en sont allées.
Il y en avait tant, souvenir des jours heureux et fastes.
Souvenir d'une belle jeunesse et des amours enfuis.
Souvenir de beaux étés. Restent les odeurs, restent les désirs fugaces.

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